Le choix du Cœur.

Le cœur de Gratienne est fatigué. 

Heureusement, grâce à la vigilance de mon père et de son médecin traitant, elle a pu être hospitalisée rapidement, pour une nouvelle pose de stent. Si cette alerte et une pneumopathie persistante l’ont affaiblie, le plus dur pour elle (et pour moi) a été l’isolement dans lequel elle s’est retrouvée, à l’hôpital, du fait du contexte de pandémie.


Pendant 15 jours, je n’ai pas pu la voir. Notre seul lien : le téléphone… Chaque jour, je prenais de ses nouvelles auprès des infirmières du service et, quand cela était possible, je pouvais échanger avec Gratienne directement, grâce au haut-parleur de leur téléphone.  Au fil des jours, la date et les modalités de sortie semblaient de plus en plus floues. Je sentais le moral de Gratienne décroître à travers le combiné. 

Voilà le kit de patience que j'ai préparé à Gratienne en milieu d'hospitalisation.

LA PERSONNE DE CONFIANCE.

Puis, un jour, l’appel d’un interne du service. 
A la suite d’un examen complémentaire, ils avaient découvert un rétrécissement de la valve aortique et proposaient comme solution de la changer. Lorsque l’interne était allé lui expliquer la situation quelques minutes plus tôt, pour avoir son accord pour l’opération, il avait obtenu comme seule réponse de sa part de me contacter, moi, sa personne de confiance. 

C’est de cette façon que j’ai appris l’opération proposée à Gratienne. 
Après m’avoir expliqué les détails techniques de l’opération, la balance du risque pour Gratienne à se faire opérer ou pas, … il souhaitait avoir mon accord afin de programmer l’ensemble des examens en vue de l’opération. 

Mais comment prendre une telle décision seule, et sur-le-champ ? 

Je lui ai dit que j’allais prendre le temps d’en parler à ma famille et, surtout, d’en rediscuter avec ma grand-mère, principale concernée par cet acte de chirurgie. Aussitôt raccroché, j’ai appelé mon père et ma sœur en visio, pour leur expliquer les faits, en tentant d’être la plus précise sur ce que j’avais compris de l’intervention. 
Je leur ai aussi exposé ma ferme intention d’échanger avec Gratienne avant de revenir vers l’interne. Après nous être écoutés les uns et les autres, nous avons décidé que j’expliquerai à ma grand-mère le contexte de l’intervention et les risques que cela représentait pour elle. 

UNE CONVERSATION REDOUTÉ.

Je redoutais ce moment : depuis 15 jours que Gratienne était hospitalisée, nos conversations téléphoniques étaient difficiles car elle n’était pas à l’aise avec un combiné à l’oreille. J’ai néanmoins réussi à lui expliquer mon échange avec l’interne (les détails médicaux, les risques et bénéfices de l’opération…) et son attente d’une réponse rapide pour préparer le planning des examens. Je lui ai confirmé que l’opération devrait avoir lieu à Bordeaux, et que cela risquait d’être inconfortable de faire des allers et retours pour les examens. 
Mais elle pourrait rentrer chez elle. 
Alors elle a dit oui, d’accord, qu’elle était heureuse de rentrer chez elle, parce qu’à l’hôpital, ce n’est pas une vie. 

Deux jours après cette conversation, elle était de retour à la maison. Passées la joie d’être rentrée et les retrouvailles avec son chat, le stress des examens médicaux a pris toute la place. 

Puis le balai des rendez-vous à l’hôpital a commencé, avec son lot d’organisation logistique et de recommandations pour la préparation des examens : mon père s’est chargé de la demande des bons de transport auprès de son médecin traitant et de la réservation du taxi ambulance. De mon côté, j’ai vérifié l’ensemble des rendez-vous avec le secrétariat du service de cardiologie, pour lui éviter un aller-retour à l’hôpital pour rien…

Dans la liste des rendez-vous, il y avait : « 23 Juin, rendez-vous avec le Dr M. avec la famille ». A cette date, l’ensemble des examens ne serait pas fini mais je me suis dit : « c’est bien, ils vont pouvoir nous expliquer l’intervention et le protocole. »

RENCONTRE AVEC LE DOCTEUR M.

Je me suis organisée pour accompagner ma grand-mère à ce rendez-vous. Nous avons été reçues par une cardiologue, qui m’a expliqué qu’elle avait ouvert cette consultation pour bien prendre le temps d’expliquer à la personne et à la famille, ce que l’intervention voulait dire et mesurer avec nous si nous maintenions notre choix de le faire. 
Elle nous a expliqué que nous ne savions pas de combien de temps la vie serait prolongée après l’opération. Mais ce qu’elle pouvait nous dire, c’est que l’espérance de vie des personnes qui ne se faisaient pas opérer était de 3 à 5 ans. 
J’ai demandé quelles seraient les conséquences sur le quotidien de Gratienne si elle ne le faisait pas. Elle m’a répondu qu’elle pouvait mourir subitement d’un arrêt cardiaque ou s’essouffler de plus en plus. Elle nous a tout expliqué, en photos à l’appui, et nous a surtout laissé la place de la prise de décision. 

LE CHOIX DE GRATIENNE.

Gratienne a dit non pour l’opération. 

En nous quittant la cardiologue a bien indiqué à ma grand-mère qu’elle pouvait revenir sur son choix quand elle le souhaitait. 

Dans la voiture, sur le chemin du retour, Gratienne m’a parlé d’espoir malgré sa décision. Du soulagement que les examens s’arrêtent là.  Et que ce n’était pas marrant d’être une vieille bique qui voit moins bien et qu’elle espérait ne pas nous causer trop de soucis. 

Une fois de plus, j’ai été dans la posture d’aidante que j’ai choisie : celle de sa personne de confiance, qui l’accompagne à faire ses choix de façon éclairée, sans l’influencer. Ma grand-mère est présente, consciente et libre de choisir ce qui fait sens pour elle. 

Cette responsabilité me demande de faire preuve de discernement. 

J’arrive à la mobiliser car je suis soutenue par mon père et ma sœur. Leur soutien logistique et dans l’écoute est le ciment de notre aidance partagée. Notre organisation est génératrice d’oxygène, pour me rendre ma vie d’aidante plus légère et pleinement présente aux besoins de Gratienne. 

Je suis très reconnaissante à cette cardiologue d’avoir permis cette parenthèse d’humanité et d’expression à l’hôpital, et à toutes ces infirmières qui ont facilité nos échanges téléphoniques pendant son hospitalisation. Le système hospitalier laisse peu l’espace–temps à la réflexion et à la prise de recul pour décider, même si des soignants l’instaurent et le revendiquent. 

Aujourd’hui, une nouvelle étape de vie s’écrit pour ma famille. Nous allons posément et joyeusement récolter les dernières volontés de Gratienne. 

Je remercie Odette Barberousse de me permettre d’utiliser l’un de ses dessins pour illustrer cet article. Vous pouvez retrouver ses illustrations sensibles ici

Les aidants familiaux pour les nuls, le livre qui ne l’est pas (pour les nuls)!

couverture et quatrième de couverture du livre : les aidants familiaux pour les nuls

L’année dernière, j’ai fait de belles rencontres virtuelles, aussi intenses qu’en vrai ! Marina Al Rubaee en fait partie. C’est Sofia qui nous a présentées. Elle avait senti qu’entre nous, il y aurait des connexions, des points communs, notamment concernant nos expériences de la relation aidant-aidé. Marina sait de quoi elle parle car elle est co-auteur, avec Jean Ruch, du livre Les Aidants familiaux pour les nuls. Aussitôt en contact, j’ai demandé à Marina de découvrir son livre, afin de me rendre compte par moi-même des choix qu’ils avaient faits, en tant qu’experts de la question, pour venir en aide aux aidants.

LA COMPLEXITE DE L’AIDANT DANS LA VRAIE VIE.

Ce livre peut se lire de différentes façons. Il est à la fois une ressource informative, présentant des dispositifs institutionnels et leurs fonctionnements, et un recueil de témoignages concrets d’aidants, et ça, c’est la vraie vie ! Cet apport rend la lecture vivante et permet au lecteur de se positionner et d’identifier l’émotion qui vient à lui. Oui, car ce livre tient compte de l’être humain qui le lit. Il le considère dans la complexité de son rôle daidant. En tant que tel, nous avons besoin de faire des actes concrets chaque jour, pour venir en aide à nos proches, ce qui nous rend aussi vulnérables. Ainsi, ce livre tente d’amener, au-delà de l’information concrète et utile, du réconfort dans le cheminement d’aidant, et nous donne des pistes pour devenir l’aidant que nous voulons être.

Venir en aide  au quotidien, c’est s’inscrire dans la vie, et ça passe par la mise en avant des petits plaisirs qui la constituent. Les auteurs ont mis l’accent sur la musique. Ils nous partagent leurs chansons ressources. Mais il y a aussi le cinéma, avec une sélection de films qui nous permettent de pousser notre réflexion. C’est une autre lecture possible, pour identifier et comprendre les émotions que nous pouvons ressentir au quotidien, en soutenant notre aidé.

CHAQUE RELATION D’AIDE EST UNIQUE.

Ce que je retiens de ce livre, c’est que chaque relation d’aide est unique. Nous pouvons puiser dans tout ce qui existe pour construire notre propre relation à l’autre et, surtout, nous pouvons apprendre de l’expérience de chacun.

Maisons de répit, accueils de jour, groupes de parole, ou lignes téléphoniques dédiées, vous trouverez dans ce livre des informations précises pour démarrer vos démarches et savoir ce qui vous convient le mieux. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon d’accompagner, il y a la vôtre, celle qui fait sens pour vous et dans le respect mutuel.

Je réalise, après la lecture de ce livre, que j’accompagne vraiment ma grand-mère en fonction de qui je suis et de mes appétences. J’ai puisé dans mes ressources, mes expériences personnelles, mon discernement et j’ai surtout fait confiance !

QU’EST CE QUE LE DISCERNEMENT POUR UN AIDANT ?

D’après le Larousse, c’est la « Faculté d’apprécier sainement les choses ; intelligence, sens critique : Agissez avec plus de discernement. »

Pour chaque acte et décision à prendre pour ma grand-mère, je dois toujours mobiliser un tas de facteurs divers, sans me laisser happer par mes émotions, mes jugements ou ceux de mon entourage.

Je me demande toujours ce qui est le plus juste pour elle et, parfois, malgré ce qu’elle me dit ! Je prends toujours son avis en compte, je lui demande ce qu’elle souhaite. Malheureusement, il arrive que le poids de son histoire, de ses croyances s’invite dans notre conversation. Ce qu’elle m’exprime n’est alors pas toujours dans son intérêt. C’est pourquoi je fais confiance à mon discernement pour savoir ce qui est le mieux à faire, en tenant compte de ce qu’elle m’a communiqué, et toujours à son avantage.

C’est ce que j’ai fait, quand nous avons évoqué la livraison des repas à domicile, en septembre dernier. Je souhaitais mettre en place ce service pour qu’elle puisse manger plus varié et pour soulager mon père du casse-tête des courses.

Après avoir fait un pré-tri dans les structures qui proposent ce service sur notre territoire, je lui ai proposé de faire un essai avec le restaurant du centre de Rouillac. Il propose la livraison de repas aux personnes âgées habitant dans l’hyper-centre. Nous en avons parlé toutes les deux. Elle semblait ouverte mais…pour plus tard ! Pourquoi plus tard ? Et là, pas de réponse. En prenant le temps de discuter, j’ai compris que sa crainte était économique. Ainsi, je lui ai expliqué et montré, chiffres à l’appui, qu’elle pouvait se le permettre, même sans l’aide financière du département (qui n’est pas compatible avec la prestation de ce restaurateur). De plus, en faisant appel à lui, elle contribuait à l’économie de la ville où elle réside. Un vrai acte citoyen ! J’ai donc proposé de faire un essai sur 15 jours, pour tester le service et savoir si cela allait lui convenir. Nous avons ajusté les quantités, demandé à mouliner la viande. Et aujourd’hui, nous continuons à faire appel à eux. Mamie mange du fait-maison et, cerise sur le gâteau (facile !), une pâtisserie quasiment chaque jour.

J’ai fait confiance aux autres et à la vie. J’ai déployé un maillage d’aide humaine et logistique autour de ma grand-mère, avec une intention de partage de l’aide, en fonction de ce que chaque membre de ma famille se sentait capable et voulait bien faire pour elle.

Aujourd’hui, ce maillage est solide et soutenant et me permet de ne pas paniquer devant l’inconnu de la vie.

Merci à Marina, Jean et aux institutions qui ont permis à ce livre d’exister et de permettre à de nombreux aidants de mieux vivre cet engagement, essentiel à notre société. 

Si vous voulez en savoir plus sur Marina et Jean, vous pouvez les suivre sur leur blog et vous pouvez vous procurer ce livre dans toutes les bonnes librairies, pour un montant de 11,95€.

Et parce que LA VRAIE VIE, c’est aussi le nom du dernier Album de Bigflo et Oli, ces deux frères qui prônent des valeurs qui me sont chères, en tant qu’être humain et aidante, je vous partage un de leurs morceaux.